Nourrir des araignées

Le repas

I - Introduction

   Dans toute leur diversité, il est un point que les arachnides ont en commun : ils sont carnivores et insectivores. 
   Certains sont essentiellement parasites (acariens, pseudoscorpions...) et ne peuvent être simplement élevés tant leurs besoins alimentaires et physiologiques sont spécifiques. 
   Les autres sont prédateurs : araignées, scorpions, uropyges et autres opilions se nourrissent principalement d'insectes mais aussi de toutes proies adaptées à leur taille et leur habitat. Cet article leur est consacré. 
   Il y sera abordé les besoins de ces arachnides, mais aussi leur mode d'alimentation, avec quelques exemples représentatifs.


II - Tueurs par nécessité

   Dans l'imaginaire collectif les araignées sont des prédatrices froides, consommant leurs proies encore vivantes ou même tuant pour le plaisir. 
   La réalité, une fois de plus, est sensiblement différente. Les arachnides tuent, mais uniquement par nécessité. Ils tuent pour se défendre, et davantage encore pour se nourrir. S'ils ne sont pas menaçés ni tenus par la faim, leur comportement est tout autre : ils menaçent, bombardent (mygales), repoussent, frappent, ils restent indifférents ou parfois même abandonnent et reculent devant ce qui en d'autres occasions leur aurait servi de repas ! 
   Exceptionnellement, une araignée mord ou un scorpion pique une "proie" qu'il ne compte pas manger. Cependant, le but n'est alors pas de tuer, et l'insecte ainsi rappelé aux valeurs de la nature, profite de cet ultime avertissement pour prendre la fuite, blessé mais vivant. 
   Je n'ai jamais observé un quelconque arachnide tuer le moindre grillon sans le consommer ou l'offrir à sa progéniture, à moins que ce ne soit pour protéger sa mue prochaine ou son cocon. 
   Il n'est pas rare en revanche qu'un grillon ou une blatte non consommé(e) se promène un certain temps en toute impunité dans un terrarium. 
   A l'inverse, une araignée qui ne prendrait pas la précaution d'éloigner un insecte avant de muer, risque de devenir proie à son tour...


III - L'heure du repas

   Comme tous les animaux, les arachnides sont conditionnés par leur rythme biologique. Crépusculaire, nocturne ou diurne, ce rythme en milieu naturel imposera le moment du repas. Conjugué avec l'habitat, il décidera aussi d'un type de proies pour lequel l'arachnide aura souvent développé des spécialisations de camouflage, de techniques de capture ou de venin. La connaissance de ce rythme naturel vous facilitera beaucoup l'élevage de telle ou telle espèce. 
   En captivité, il est indispensable de reproduire au mieux un cycle jour / nuit régulier et préférable de choisir le bon moment pour fournir la nourriture. Par ailleurs, pour certaines araignées en particulier (Néphiles, Epeires, Veuves noires...) qui ont adapté leur méthode de chasse à leur capacité à tisser, il faut de plus attendre qu'elles aient terminé leur toile. Il faut rarement plus de 24 heures pour que l'essentiel (le piège et la cachette) soit prêt... 
   Une fois votre scorpion ou votre araignée installée, vous n'aurez guère de difficultés à les nourrir : il suffit le plus souvent de placer un insecte dans le bac, le prédateur fera le reste !
   Il y a des périodes où les arachnides ne s'alimentent pas, qui coïncident avec des phase de vulnérabilité, ce qui peut expliquer en parallèle une certaine nervosité, parfois une franche agressivité. 
   La plus caractéristique de ces périodes, est l'approche d'une mue. Dans les jours ou les semaines qui précèdent cet événement, scorpions et araignées cessent de se nourrir sans que cela les affecte ou les amaigrisse. On peut se servir de cet élément comme signe précurseur de la mue. Il y en a d'autres, qui seront détaillés dans un article distinct. 
   Chez les femelles, la période qui suit l'accouplement jusqu'à la ponte ou l'éclosion, est également l'occasion d'un jeûne prolongé. Par ailleurs, déranger une femelle à ce moment peut la pousser à manger... son cocon ou sa progéniture ! 
   Les mâles d'araignées cessent de s'alimenter peu après leur mue imaginale. Ils consacrent alors toute leur énergie à rechercher des femelles pour s'accoupler, et se laissent dépérir. On n'observe pas ce phénomène chez les autres arachnides (scorpions, uropyges...), où mâles et femelles ont des cycles de vie équivalents. 
   Pour tous les ordres, mâles et femelles suivent en automne et en hiver une période de diapause, plus ou moins prononcée selon les espèces. Dans la nature, elle se traduit souvent par une quasi-hibernation en fonction du climat. En captivité, par un ralentissement ou l'arrêt de l'alimentation, et la réduction de l'activité. Chez certaines espèces, le respect de cette période conditionne la réussite de la reproduction. Il est donc important d'être attentif au premier signal de cette diapause : l'arrêt de l'alimentation. 
   Quand ils sont repus, les arachnides arrêtent d'eux mêmes de se nourrir. C'est souvent ainsi que l'on verra des proies se promener impunément dans le terrarium de leur prédateur. Pour certaines espèces particulièrement voraces comme Theraphosa leblondi, ce seul fait ne suffit souvent pas à leur couper l'appétit, et lorsque son abdomen est déjà très gros, c'est à l'éleveur de ne plus fournir de proies pendant quelques temps. 
   Enfin, parfois, une mygale arrête de se nourrir sans qu'aucune de ces raisons ne puisse l'expliquer. Dans la majeure partie des cas, il n'y a pas lieu de s'inquiéter, son appétit reviendra comme il est venu. Mais d'autres fois, ce comportement perdure, c'est mauvais signe : parasitisme, stress, faiblesse, maladie qui peut aller jusqu'à la mort. 
   Il est difficile de dire à quel stade ou pendant quelle durée il est inquiétant qu'un arachnide ne s'alimente pas. Des durées excédant un an ont été constatées en captivité chez des mygales, qui pour le reste se portaient parfaitement bien. Les scorpions sont également très résistants à ces périodes. D'autres arachnides ou même certains spécimens supportent mal quelques semaines de jeune... De toutes façon, le jeune ne doit jamais être forcé. En ce sens, il doit se traduire par un refus de l'arachnide de se nourrir, et non par un arrêt par l'éleveur de lui fournir des proies. En dernier recours, certains "trucs" permettent de re-déclencher la prise de nourriture, encore que la réussite ne soit pas systématique : baisse temporaire de la température, baisse de la luminosité et ou de la durée quotidienne d'éclairage... 
   Durant ces périodes de jeune en particulier, il est impératif de fournir un abreuvoir -y compris pour les espèces désertiques- pour dispenser au moins un apport d'eau.
   A l'inverse, souvent après ces périodes de diète, les arachnides ont un appétit accru : 
   Dans les jours qui suivent la mue, après durcissement total de la partie chitineuse, les arachnides affamés par un jeune prolongé, redoublent d'appétit et se ruent littéralement sur leurs proies, oubliant parfois même la prudence qui les conditionne le reste du temps. 
   Tout de suite après l'accouplement, la femelle peut être si affamée qu'il lui arrive de dévorer le mâle, encore que ce ne soit pas la règle. Après parfois plusieurs mois de jeûne à attendre puis surveiller son cocon ou ses bébés, elle se jettera sur la première proie venue. De même, le mâle lorsqu'il est indemne cherchera souvent à se nourrir, ce qui est remarquable notamment chez les araignées.


IV - Capturer ses proies

   Pour capturer leurs proies, les arachnides ont développé des trésors d'adaptation et d'ingéniosité. Ces adaptations peuvent être aussi diverses que leur camouflage (couleurs, motifs, formes, attitudes), la spécialisation de leur venin à leurs proies, mais aussi leur technique de chasse, de capture, et jusqu'à leur façon de manger ! 
   Il existe de très nombreux modes de capture, en fait bien trop pour les détailler tous ici... Quelques exemples donnés en fin d'article vous en donneront un aperçu. 
   On peut retenir dans ce chapitre, deux types de chasse et deux principes de capture. Il est nécessaire de préciser qu'il y a de nombreuses exceptions, ou plutôt des associations de ces profils, car il est bien impossible de définir des dizaines de milliers d'espèces en quatre paragraphes... 
   La plupart des arachnides nocturnes sont des chasseurs : rapides et relativement endurants, ils peuvent parcourir plusieurs centaines de mètres (à rapporter à leur taille !) pour trouver une proie. Ils sont très majoritairement insectivores. Ils utilisent toutes sortes de capteurs, en particulier des soies (poils) sensitives pour détecter à plusieurs dizaines de centimètres le moindre mouvement. La vue joue un rôle moindre dans ce type de chasse nocturne. Leur corps est proportionnellement fin, et les pattes souvent longues. Réciproquement, les grands arachnides chasseurs sont souvent nocturnes, ce qui leur permet de ne pas cotoyer leurs propres prédateurs, surtout diurnes. Les scorpions appartiennent à cette catégorie. Certains chasseurs sont diurnes. Ils sont de taille bien plus modeste pour pouvoir se protéger, et leur vue est primordiale, la plus développée parmi les arachnides. Les araignées de la famille des Salticidae en sont typiques. 
   Les autres arachnides, diurnes et/ou moins endurants, sont des chasseurs à l'affût : ils dressent leur piège ou se tapissent, et bondissent sur la proie qui passe à leur portée. Les plus évidentes, sont les araignées qui construisent des pièges, quelle qu'en soit la forme. Toiles planes des Epeires et Néphiles, treillis d'apparence désordonnée des Veuves, entonoir en étoile des Filistatidae et Amorobidae, trappes des mygales maçonnes... Les énormes mygales de la famille des Theraphosidae attendent également, près de l'entrée de leur cachette, le passage d'une blatte ou d'une grenouille imprudente. Avec au plus, quelques fils d'alerte pour les prévenir... 
   On distingue également deux modes de capture. Chez la plupart des arachnides, notamment les chasseurs et les grands arachnides, la capture est directe : la proie est attrapée par les pédipalpes, au besoin avec l'aide des pattes I et II pour l'immobiliser complètement, puis mangée. Chez les scorpions, deux pinces puissantes font office de pédipalpes. Cela implique que la proie n'est pas disproportionnée par rapport à l'arachnide. Pour neutraliser les grosses proies, le venin peut être utilisé. Scorpions, amblypyges, uropyges, solifuges et la plupart des araignées attrapent directement les insectes ou autres proies dont ils vont se nourrir. 
   L'autre procédé de capture, est le piège de soie. Certaines araignées sont passées maîtresses dans l'art de confectionner des toiles très efficaces. Les toiles aériennes des néphiles et épeires, sont surtout destinées aux insectes volants ou sauteurs. Les toiles des Theridiidae par exemple, permettent d'attraper des petits animaux terrestres. Les proies vont s'emmêler ou se coller dans les fils de la toile, puis seront saucissonnées si c'est nécessaire avant d'être mangées. Il est remarquable que ce procédé permet à des araignées de capturer des proies beaucoup plus grandes qu'elles. Et il suffit à l'araignée de rester cachée jusqu'à ce qu'une proie vraiment trop grosse arrive à se dégager, ou d'attaquer en groupe pour les colonies d'araignées sociales...